Si l'antisémitisme, au sens d'une conviction que les juifs de son quartier représentent un danger et une nuisance, est déjà une pathologie déroutante, l'antisémitisme "sans juifs" est un vrai mystère. Ainsi, que des Malaisiens ou des Honduriens n'ayant jamais rencontré le moindre porteur de kippa puissent considérer que les difficultés politiques ou économiques auxquelles ils sont confrontés ont quelque chose à voir, d'une manière ou d'une autre, avec un groupe humain minuscule et lointain ne laisse pas d'étonner. Mais plus remarquable encore est ce nouveau phénomène du "philosémitisme sans juifs" et dont Cracovie est un formidable exemple. La splendide cité polonaise, à l'architecture miraculeusement préservée des dévastations de la guerre et du communisme, est en effet le théâtre d'un renouveau juif presque intégralement piloté par des gens sans attache particulière au judaïsme, au-delà du désir de "renouer avec une part majeure de l'héritage historique polonais". Anna Gulinska, l'une des responsables du Jewish Community Center (JCC) de Kazimierz, un secteur de Cracovie dont la population juive est passée de quelque 70 000 âmes à la fin des années trente à, très précisément, "120 personnes officiellement recensées", en est la meilleure preuve. La jeune femme, originaire de Tarnów, une ville moyenne située... Continue reading

Ok, ok, à vous, on ne la fait pas : ce mini-site existe essentiellement pour assurer la promo du livre dont vous pouvez admirer la désopilante couverture ci-contre... Mais il n'a pas pas besoin de ne servir qu'à ça, hein ? Il rassemblera donc, en plus des extraits des différents chapitres censés vous mettre l'eau à la bouche et vous inciter à vous précipiter chez votre libraire préféré (Amazon et Fnac.com, c'est très bien aussi), une sélection d'articles (en version intégrale) publiés ces dernières années sur Slate.fr, Rue89, Atlantico, Le Monde ou mon blog et dont je me suis dit qu'ils vous intéresseraient si vous avez surfé jusqu'ici. Baladez-vous ici et là, commentez si l'envie de donner votre avis vous prend, insultez-moi si c'est votre truc, félicitez-moi plutôt si vous êtes de bonne humeur, ça fera de l'animation et du clic. J'essaierai d'ailleurs de répondre aux uns et aux autres dans la mesure du possible, parce que, comme vous le constaterez, j'ai toujours quelque chose à dire... Hugues Serraf "Ils sont fous ces juifs", éditions du Moment en librairie dès le 20 septembre 2012. Continue reading

Si vous ne l’êtes pas déjà parce que personne n’est parfait et que l’idée vous vient de devenir juif ― on ne sait jamais, ça peut passer par la tête d’un dépressif ou d’un désœuvré ―, je vous recommande instamment de devenir « ashkénaze ». C’est beaucoup plus chic. Les juifs, qui se fragmentent déjà en une myriade de chapelles au plan purement religieux, on vient de le voir, se subdivisent subséquemment en deux autres grandes catégories sur des bases essentiellement historiques, culturelles et géographiques : les intellos d’origine européenne, parfois blonds aux yeux bleus et exerçant des professions nobles d’une part (les ashkénazes, donc) ; les roublards d’origine méditerranéenne, au teint généralement mat et aux cheveux ondulés mais ayant plutôt réussi dans la fripe d’autre part (les séfarades). Pour un antisémite (ou un philosémite), tout ça, c’est du pareil au même, mais pour un juif, c’est terriblement essentiel. Passablement métissé moi-même et navigant fréquemment d’une sphère à l’autre, je sais de quoi je parle. Enfin, en réalité, je suis nettement plus ceci que cela : ma mère est 50/50, mon père 100% séfarade, ce qui me place à 75% dans le camp des fripiers mais c’est encore un peu... Continue reading

La vérité si je mens, je n’aimerais pas beaucoup vivre en Israël. Trop petit. Trop de problèmes de voisinage. Trop juif. Trop petit, c’est mon côté claustrophobe. J’aime bien habiter dans un grand pays plein de régions, pouvoir monter dans un train ou dans une voiture, rouler quelques heures et me retrouver ailleurs mais ici tout de même. Parce qu’Israël, c’est un vrai mouchoir de poche : 20 000 km2, soit deux fois le département de la Gironde ou une moitié de Suisse. Sa largeur minimale, une quinzaine de kilomètres, je peux la courir en à peine plus d’une heure dans un bon jour. Dans un très bon jour, je cours le double mais je suis mauvais nageur et je traverse mal les murs de béton. Il faudrait pourtant que je m’arrête à la mer dans un sens ou au pied de la fameuse « barrière de sécurité » dans l’autre et, à la longue, ça finirait par me frustrer. Je me connais. Trop de problèmes de voisinage, c’est mon côté peace and love. C’est marrant, d’ailleurs, à quel point on sous-estime cet aspect de la vie quotidienne des Israéliens depuis Paris ou Bruxelles : des types qui vivent au... Continue reading

Ma mère, qui est juive, n’a pas grand-chose d’une « mère juive ». Je ne sais pas si elle va se vexer en lisant ça (maman, ne te vexe pas en lisant ça), mais à étudier la liste des caractéristiques censées définir le modèle toutes options, elle pourrait aussi bien être d’une autre marque... Elle n’est pas hyper-protectrice, ne cuisine pas souvent et pas très bien, n’a engendré ni avocat ni médecin, a fichu son mari à la porte lorsqu’elle s’en est lassée, ne passe pas son temps à se lamenter ou à menacer de se suicider et, surtout, ne semble pas considérer que ses enfants devenus adultes soient restés des ados dont elle doit continuer à gérer l’existence. Les juifs ont l’habitude d’être stéréotypés de l’extérieur, généralement pour le pire, mais je ne parviens pas à me faire un avis définitif sur ce cliché spécifique : être une mère juive, c’est bien ou pas ? Voyons voir : il n’est pas rare d’entendre une maman-poule à la religion indéterminée (tiens, je me demande si un poulet sapiens n’est pas en train de se poser exactement la même question dans un univers parallèle où c’est la volaille qui ferait l’opinion)... Continue reading

Les réalisateurs israéliens ne sont plus les bienvenus dans les salles Utopia : ils financent leurs films en shekels et forcent leurs acteurs à s'exprimer en hébreu, respectivement devise et langue du régime sioniste. Utopia, un réseau de salles de cinéma intelligent ― au sens où il ne programme que des films susceptibles de faire réfléchir un public qui ne l'est pas moins ―, a décidé qu'il n'était plus question de programmer de films israéliens jusqu'à ce que le blocus sur Gaza soit levé. Anne-Marie Faucon (la bien-nommée dans un tel contexte), responsable de l'association gérant ces salles implantées dans une quinzaine de villes en France (dont la Filmothèque de la rue Champollion à Paris), justifie cette initiative de la manière suivante : « Notre démarche est un appel à la réflexion et à la liberté. C'est aussi un message aux réalisateurs israéliens, pour les inciter à réfléchir à ce qui se passe dans leur pays. Les cinéastes qui travaillent avec des fonds israéliens cautionnent, dans un sens, la politique de leur pays. » Non contente d'intégrer, sans prendre cinq minutes pour leur demander leur avis, quelques uns des metteurs en scène les plus intéressants du moment aux services de... Continue reading

Quelqu’un relit-il les éditos du président du CRIF avant qu’il ne les publie ? Pas sûr. Ou alors pas bien. S'il y a une chose que les antisémites d’aujourd’hui détestent par dessus tout, c'est bien d'être traités d'antisémites. C'est comme ça, on n'y peut rien. Ça a sans doute quelque chose à voir avec la fameuse sortie de Bernanos sur Hitler qui aurait "déshonoré l'antisémitisme" débonnaire d'avant-guerre avec ses méthodes un poil extrêmes. L'antisémite moderne, celui qui n'aime pas être qualifié ainsi, donc, ressemble pourtant à son précurseur en tout point au sens où il est convaincu que les juifs contrôlent la planète et en sont responsables d'à peu près tous les maux ― de la crise financière à l'orage qui gronde un jour de pique-nique… D’ailleurs, un truc qu'il adore tout particulièrement, notre antisémite new look, c'est lorsqu'il peut faire la démonstration de ce que la dénonciation de l'antisémitisme est en réalité l'expression d’une grotesque paranoïa juive : "Comment pouvez-vous m'accuser d'être antisémite, s'exclame-t-il scandalisé en sortant du dernier spectacle de Dieudonné, quand je me contente d'évoquer la responsabilité objective des juifs dans la traite négrière et la faim dans le monde ? Ce procès d’intention est tout de... Continue reading

Ma mère, qui manque parfois d'une certaine subtilité mais je le lui pardonne parce que c'est ma mère et que, chez les juifs, la mère, ça compte1, aime bien raconter l'histoire de ma circoncision en public. Enfin, pas en public à la radio ou à la télé, ça n'intéresserait personne mais, éventuellement, si l'occasion se présente, pourquoi pas, à une inconnue rencontrée dans le bus ou à la voisine du dessous pendant une causerie près des boîtes aux lettres de son immeuble. OK, ça ne les intéresse sans doute pas non plus, l'inconnue et la voisine, mais elles ne peuvent pas changer de chaîne. Remarquez, elle est tout de même assez rigolote, l'histoire de ma circoncision. Elle a failli mal tourner et l'être beaucoup moins mais, avec le recul, elle n'est plus que ça : rigolote et un peu casse-pied quand ma mère s'avise de la raconter pour la 750 000e fois. Bon, pour la faire courte (ha ha, ça y est, vous vous marrez déjà…), la circoncision chez les juifs se pratique sept jours après la naissance et consiste à découper, à l'aide d’un scalpel, le prépuce d’un petit garçon qui n'a rien demandé et que ses hurlements de... Continue reading

« Hitler a déshonoré l'antisémitisme ». Elle a beau être usée jusqu'à la corde, et agacer les fans de l'auteur du Journal d'un curé de campagne qui aimeraient bien que l'on passe à autre chose, elle est tout de même extraordinaire de concision limpide, cette formule de Georges Bernanos… Avant le nazisme et les camps, l'antisémitisme était une opinion comme les autres. On pouvait exprimer, mieux, on pouvait imprimer, sa détestation des juifs sans fausse pudeur et demeurer un citoyen honorable et respectable. Hey, c'est qu'il ne s'agissait pas de réclamer leur élimination dans de terribles circonstances, aux youpins ! Bien sûr que non ! Juste de les mépriser en permanence et de les discriminer à l'occasion. D'ailleurs, aujourd'hui, c'est bien simple, il n'y a plus d'antisémites. Et à l'exception d'une poignée de skinheads abrutis par la Kro et des derniers militants du Front national à ignorer que « Marine » a, elle aussi, lu Bernanos, il est devenu difficile de tomber sur quelqu'un qui vous expliquera sans tourner autour du pot que les juifs sont une sale race et qu'il les déteste cordialement par principe. Et le ferait-il, précisons-le, qu’il risquerait de se retrouver devant un juge pour injures... Continue reading

Est-ce que ça existe vraiment, « l’humour juif » ? Et si oui, s’agit-il d’un formatage de l’esprit inhérent au judaïsme, au sens où le catholicisme fait vivre les masturbateurs dans la crainte de la damnation éternelle et le bouddhisme garde les chômeurs optimistes même lorsqu’ils sortent d’un rendez-vous à Pôle emploi ? Le problème, c’est que poser la question dans ces termes, ça n’est pas très rigolo. Un peu comme ces livres savants censés décortiquer les mécanismes de ce qui amuse mais ont plus tendance à vous faire bailler qu’à vous envoyer rouler par terre. Tiens, prenez « Le Rire », de Bergson. Eh bien ce bouquin ne vous tire pas un sourire. Vous vous dites : voici Bergson, un juif, donc un spécialiste présumé de l’humour, philosophe de surcroît, qui écrit un bouquin sur le rire, c’est sûr qu’on va se bidonner… Quelle erreur ! Bergson, qui dit évidemment un tas de choses intéressantes ici et là dans d’autres livres, se contente d’analyser le rire « dans ses dimensions sociales et morales » sans jamais raconter une blague digne de ce nom. Enfin, il essaye, mais disons que ça tombe un peu à plat. Il lui manque ce... Continue reading

Le scoop de l’année : les juifs n’ont pas honte de l’être. Il y en a même qui en sont fiers. Ce qu’il y a d’amusant avec la (microscopique) tornade d’indignation qui sévit sur les réseaux sociaux depuis qu’un petit malin a lancé son appli iPhone recensant les célébrités juives (« Juif ou pas juif »), c’est qu’elle ne bouscule vraiment que les non-juifs… Bon, d’abord, le gars n’a rien inventé. Et le site Jew or not jew du Web US amuse les Américains de toutes obédiences depuis des lustres sans que personne n’ait eu l’idée saugrenue d’y voir une quelconque mise en fiches. Ah, il est vrai que les juifs américains n’ont jamais été mis en fiches, eux… Et ceci explique peut-être cela. Mais dans un pays où l’on a un tel problème avec les fils d’Abraham qu’on préfère les euphémiser (« israélites », tss, a-t-on idée ?), l’idée prévaut que le mot « juif » insulte plutôt qu’il ne qualifie. Avez-vous remarqué les précautions que les gens prennent avant de le prononcer, ce petit vocable de quatre lettres aussi anodin que catholique, bouddhiste ou zoroastrien ? ― Ah, comme ça, vous êtes… euh… juif… ― Ben oui mon... Continue reading

Une chaloupe du Front national prétend arrimer les Français juifs à la flottille de Marine. Ça va faire plouf. Il est possible qu’il y ait des juifs attirés par le Front national (il y a bien des poisson-chats et des gens qui apprécient les Mon Chéri à la liqueur), mais ils ne doivent pas être bien nombreux. Ça n’empêche pas Marine Le Pen, entre deux valses de « Strauss sans Kahn », de tenter de les convaincre qu’un parti à peu près aussi philosémite qu’un complotiste du 11-Septembre est devenu leur nouvelle Jérusalem idéologique. Ainsi, c’est le Nouvel Obs qui attire mon attention sur l’existence d’une espèce d’OVNI sobrement intitulé « Union des Français Juifs », une entité à la rhétorique tellement grotesque qu’on se demande si son projet n’est pas surtout de fédérer les Français juifs et masochistes. Parce que l’affreux du moment, pour l’extrême droite, est clairement l’immigré d’origine nord-africaine ― mais sans doute aussi parce que dans l’esprit des Le Pen père et fille comme dans celui de pas mal de « progressistes », juifs et musulmans sont nécessairement antagonistes ―, ce genre de retape semble effectivement couler de source. Le hic, c’est qu’on peut difficilement passer... Continue reading

À celui qui feuillette ce livre prélevé sur l’étagère d’un libraire mais recherche plutôt un ouvrage « savant » sur le judaïsme, je dois annoncer la couleur : ces réflexions sur ma question juive ne combleront pas sa soif de connaissances sur cette mystérieuse religion. Je ne dis pas qu’elles n’étancheront pas tout de même un minimum sa pépie cultuelle, ne soyons pas inutilement modeste, mais je ne me risquerais pas à conseiller à qui que soit de se présenter à l’agrégation de judaïsme armé de ce seul viatique. De toute manière, il n’y a pas d’agrégation de judaïsme. Et s’il y en avait une, la Faculté concocterait vraisemblablement une liste de lectures dont ce livre serait ostensiblement exclu histoire de limiter la casse. Elle est comme ça, la Faculté. Elle préfère les valeurs sûres : les Maïmonide, les Rachi, les Popeck et autres frangins Marx. Mais bon, je n’ai pas envie de décevoir le lecteur de passage et de lui ôter l’envie de lire mes autres livres qui ne parlent absolument pas de judaïsme parce qu’il aura été choqué par le manque de rigueur du présent ouvrage. C’est vrai quoi, les gens élaborent souvent des théories générales à partir... Continue reading